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Aujourd’hui, c’est mon dernier jour à la CONAMUIP. Un petit pincement au coeur me serre la poitrine. La vie au bureau continue au même rythme. Les filles sont tout à coup surprises d’apprendre que c’est mon dernier jour, mais accueillent la surprise comme elles ont accueilli ma venue : sans éclat, sans débordement. Un jour comme un autre sur la rivière de la vie. Une vague qui se meurt sur la plage, suivie d’une autre, portée par tout l’océan, accueillie par le sable où elle continue sa vie d’eau.

C’est mon dernier jour de travail pas tout à fait terminé, auquel personne n’a vraiment porté attention que j’essaie de transmettre mais l’accueil est mitigé, selon mes standards. Sur les deux filles que je dois former, une des deux n’est pas venue aujourd’hui disant hier qu’elle n’allait pas avoir les moyens de payer son transport…(en bus). Peut-être, ou peut-être un prétexte.

C’Est mon dernier jour et Dimanche nous partons en voyage, laissant derrière les responsabilités professionnelles pour les reprendre pendant 4 jours en avril avant de quitter le sol panaméen. Un autre pincement au coeur !

Alors tout cela pour vous dire, que ce blog ne sera pas mis à jour régulièrement les trois prochaines semaines.

PAUSE DANS LES PHOTOS DU LUNDI.

On se retrouve le 12 avril !

Voyage dans la Comarca Ngöbe-Buglé…

Une comarca, c’est un territoire délimité par la loi panaméenne et administré, dans les limites de cette même loi, par le Congrés général du peuple auquel le territoire a été octroyé. D’autres appeleraient cela une réserve. Je ne sais pas si j’aime ce terme qui réfère à de nombreux préjugés, à un territoire étroit, qui fait peu cas des luttes que ces peuples ont entrepris pour pouvoir obtenir ce territoire. Il fait cependant référence à la pauvreté qui gît dans une grande partie de ces territoires. Il fait aussi référence aux droits que continue de s’octroyer l’État central, sur les ressources naturelles, mais aussi sur l’éducation et sur la santé. L’école est panaméenne, l’histoire l’est aussi. Vous ne connaissez pas l’histoire du Panama ? Elle n’est pas très vieille et elle ne parle pas des peuples qui habitaient ce bout de terre entre deux mers avant que « les panaméens » s’y établissent. Mais le Panama n’a pas le monopole dans l’utilisation de l’histoire à des fins colonialistes, et la liste des autres pays serait trop longue à énumérer ici.

Ngöbé et Buglé : ce sont deux peuples autochtones du Panama. Leur tradition et habits traditionnels se ressemblent, mais leur langue est vraiment différente….Comme me le faisait judicieusement remarqué Ebinia, avec qui j’ai voyagé pendant ces trois jours. J’avoue que de mon côté je ne faisais pas la différence, mais pour une Ngöbé, c’est tout à fait clair. Les Ngöbés-Buglés sont plus de 100 000 au Panama et se partagent la même Comarca. C’est la plus grande Comarca du pays, étalée tout le long des montagnes qui s’étirent de la province de Chiriqui jusqu’au Golfo de los Mosquitos. Les routes goudronnées passent tout autour de la Comarca. L’intérieur est difficilement accessible. Quelques routes en pierrasses pénètrent de quelques dizaines de kilomètres à l’intérieur du territoire. Pour le reste des villages, il faut s’y rendre à pied par les nombreux cols et vallées qui forment la Comarca la plus pauvre du Panama. Les Ngöbés et Buglés ont été progressivement repoussés au plus profond des terres incultivables du Panama, employés pendant la période des récoltes dans les propriétés de café, de canne à sucre, de bananes.

Ebinia m’a fait faire le tour des organisations d’artisanes Ngöbés dans la région de San Felix. Nous sommes restées chez une de ses amies, Lucia, artisane et coordonnatrice des artisanes Ngöbés de la région de San Felix. Lucia a peut-être 45 ou 48 ans, des lunettes qui auraient pu être à la mode, larges et rondes, et surtout épaisses. Cela fait 28 ans qu’elle coût et encore plus qu’elle travaille. Lucia, comme toutes les femmes que j’ai rencontré pendant mon séjour là-bas, avait été « offerte » à l’âge de 6 ans à une femme Latina pour laquelle elle allait travailler comme employée de maison et qui allait lui permettre d’aller à l’école et lui fournir le toit, le couvert et les vêtements nécessaires. Un drôle de troc, une opportunité à double tranchant. Tout dépendant de la nouvelle « maman ». Pour la coordonnatrice de l’Association des femmes Ngöbés, cela signifiait devoir faire la course demandée (acheter des oeufs, du lait, etc.) avant que le crachat lancé par terre par la matrone ait eu le temps de sécher. Sinon, c’étaient les coups qui l’attendaient. Ebinia a été offerte à 4 ans par sa mère qui voulait la sauver de son père.

Sa mère, comme la plupart des femmes Ngöbés et Buglés, a été mariée jeune. Elle était la cinquième épouse de son mari, l’homme tout puissant dans la famille. C’est lui qui parle aux étrangers, c’est lui qui a l’argent, c’est lui qui donne les coups. Plusieurs fois, sa mère s’était enfui chez ses parents pour fuir les coups de son époux, et chaque fois elle avait été renvoyée chez elle. Cela faisait partie de son lot quotidien maintenant. Asi es ! En partant, en laissant son mari, elle laissait aussi ses enfants avec lui. Lorsqu’elle a vu que son mari commençait à marier sa première fille de 13 ans, elle a voulu sauver sa deuxième fille. Elle l’a alors offerte à 4 ans puis s’en est allée vivre à Panama. Elle n’en est revenue que lorsque Ebinia avait 15 ans. Pendant ce temps, la soeur d’Ébinia, quand elle se faisait battre par son mari, cherchait refuge chez son père, qui la renvoyait à son foyer.

Lorsque nous sommes arrivées le lundi soir chez Lucia, celle-ci ne semblait pas nous attendre. Ebinia avait pourtant dit à Emerita, la coordonnatrice générale des femmes Ngobés, de dire à Lucia que nous arriverions. Le message n’avait pas été fait selon Lucia. Ce soir-là, elle recevait une amie de David, la plus grosse ville de la province de Chiriqui. Qu’à cela ne tienne, le devoir d’hospitalité se devait d’être respecté. Je ne dis pas que Lucia a sauté au plafond en nous voyant et a étalé une joie débordante. Elle est restée discrète comme une femme Ngöbé, a guardé ses sentiments pour elle, mais ne nous a pas mis à la porte et nous a accomodé pour la nuit. Pourtant, …oui pourtant, elle n’avait pas vraiment de quoi nous accomoder. Elle nous a offert du café à 21h00. Nous en avons gardé les yeux grand ouvert jusqu’à 1h00 du matin. Sa maison se compose du minimum pour être confortable : une cuisinière, une table, une étagère, quatre chaises en plastique de jardin, une chaise en bois qui va avec la table sur laquelle est posée sa machine à coudre, devant la télé. Les chaises naviguent entre les pièces et la maison de son fils à côté. Donnant sur la salle principale, deux chambres sont fermées par un rideau de tissu vert qui volent aux courants d’air qui traversent la maison par les fenêtres sans vitre en dentelles de briques. Dans chaque chambre, une pour Lucia et une pour son deuxième fils, un grand lit, un placard, des vêtements qui pendent au plafond, et évidemment les trésors de chacun.

LuciaNous avons dormi dans la salle, sur la dalle de béton poli qui brille dans toute la maison. Lucia nous avait installé un matelas avec un drap fait du patchwork des restes des tissus de ses Nagua (vêtement porté par les femmes Ngöbés-Buglés). Le matelas était le sien. Celui qui recouvrait son lit. Lucia et son amie sont restées à parler dehors presque toute la nuit. Elles sont rentrées se coucher vers 3h30 du matin pour se lever à 4h30 car son amie devait prendre le premier bus pour David. Elles ont dormi sur le lit de Lucia dépossédé de son matelas, sur lequel nous dormions. Je n’ai découvert la largesse de son hospitalité qu’au petit matin, après avoir passé la nuit sous le drap à ne pas penser aux Coucarachas, moustiques et autres bestioles qui pouvaient traverser la petite maison depuis n’importe laquelle des ouvertures qui servaient de fenêtre. Ce qui nous sauvait ? Il n’y a pas de drains qui arrivent dans la maison. Les toilettes, qui servent aussi de salle de bain lorsque l’on y apporte un seau, étaient construites au fond du jardin, entre 4 murs de tôle et une dalle en béton. Le lavabo de la cuisine ressemblait plus à une barrique de plastique noire, disposée sous un robinet sortant de la terre, et accumulant l’eau du robinet ou de la pluie, devant une table qui servait à faire la vaisselle ou la lessive. Vous comprendrez donc maintenant l’importance 1) de la lampe torche, et 2) des tongues en plastique.

Ayant veillé tard, nous nous sommes réveillées tard le lendemain matin, vers 8h00. Le temps de donner un dollar au fils de Lucia pour faire quelques courses, et d’aller se laver avec notre seau dans la « salle de bain » au fond du jardin, et nous avons dégusté un déjeuner qui nous a tenu au ventre jusqu’au soir : oeufs à la poële, galettes de mais frites. saucisses frites, patacones. Nous avons alors fait le tour de deux associations d’Artisanes.

Un village Buglé dans la Comarca Ngöbe-Buglé, à une heure et demie de route de pierres, de roches, de coulées de boue séchée rendant la voie souvent plus vallonnée que plane.

frères et soeurs

Trois générations de femmes Ngobé.Sur ces belles paroles, c’est l’appréhension au ventre que je m’en vais demain dans la Comarca Ngobé avec Ebinia. Le peuple Ngobé est le plus pauvre parmi les peuples autochtones du Panama. La Comarca est le territoire accordé légalement par l’État panaméen au peuple Ngobé, dans les terres intérieures, le long du Golfe de los Mosquitos. Une autre réalité, un autre choc, une autre fenêtre sur le monde.

De retour mercredi soir !

Avez-vous jamais remarqué combien le rêve est plus présent lorsque vous êtes dans la nature ? Je ne parle pas d’un parc en ville, je parle de la forêt, de la montagne, de la mer sauvage. J’ai remarqué que mes rêves étaient plus forts lorsque j’étais au Chiapas, dans la communauté de déplacés, ou en Inde. Je croyais que c’étaient les pilules anti-malaria qui faisaient cet effet. En fait, je crois que c’est le contexte. Au milieu d’un univers incontrôlable, comme l’est la nature, la vraie, pas celle que l’on a voulu domestiquer, enfermer entre quatre murs, dans des pots, sous l’asphalte, les rêves s’exaltent, sortent de leur boîte à penser, emplissent la vie de jour comme de nuit. Dans la communauté pas d’électricité autre que celle fournie par les piles des lampes torches ou les quelques panneaux solaires de la maison du congrés. Pas de voitures. pas d’ordinateurs. Du sable, de l’eau, du bois, du coton, du maïs, du poisson, de la noix de coco. J’avais l’impression de rêver toute la journée, tous les rêves que je ne pouvais pas faire la nuit. Car il faut que je vous raconte. J’en ai passé des nuits mémorables à Mulatupu.

Chaque participante étrangère à la communauté était accueillie par une acudiente : une femme de la communauté. La mienne s’appelait Maryeline, avait 28 ans, ne parlait que kuna, avait deux enfants et vivait avec sa mère, sa grand-mère et sa soeur sourde, ah et avec son mari (car chez les Kunas, c’est le mari qui vient habiter chez sa femme après le mariage et c’est pour cela que l’on dit que la société kuna est matriarcale. Par contre, les hommes sont quand même ceux qui parlent le plus fort à l’intérieur du foyer). Donc mon acudiente m’avait logé dans une petite chambre à l’extérieur de la maison principale, faite de blocs de bétons et de bambou, proche de la « salle de bain » : une bassine entourée de tôles, et des « toilettes » : un cabanon de tôle sur pilotis qui donne directement dans la mer. Et pour entrer dans chacune de ces commodités, une porte conçue pour des Kunas : haute de 1m50. Autant dire que je me suis cognée la tête plus de fois qu’il ne faut pour le dire.

une histoire de HamacDonc, mon acudiente me montre ma chambre. Première impression, c’est spartiate. Mais ensuite je remarque les cahiers d’école sur la petite table, le pot de gel, le pot de chocolat en poudre. Des objets familiers qui peuvent réveiller en moi des sensations rassurantes. Un lit double est installé dans la pièce avec une moustiquaire en toile. Pendant notre première journée, Sonia m’avait conseillé de demander un hamac, car le lit, on dort dedans toute l’année en ville, dans la communauté, c’est le hamac ! Et je voulais aussi essayer. Je demande donc. Quelle erreur…

Ils m’installent un hamac, dans la chambre même. Le hamac traverse la pièce de part et d’autres et touche le lit au pied. Ah oui, et il sent le vieux hamac humide. Bon tout es humide à Kuna Yala, comme au Panama d’ailleurs. Le soir venu, toute guillerette, je m’apprête à m’endormir d’un même balancement à une heure avancée de la nuit (21h00) quand mon acudiente entre pour venir dormir dans le lit avec son fils. Elle ne veut pas que je dorme seule, car je vais avoir peur. Ah ? bon, ok. De toutes façons, l’intimité est une notion toute occidentale. Très bien.

Ronfl ronfl ronfl. Tout le monde debout à 5h00, sauf moi qui traîne dans mon hamac jusqu’à une heure avancée du matin (6h45) [Non mais des fois, il ne fait même pas jour à 5h00, et pis j’ai rien d’autres à faire ici] Je me lève, vais faire mes ablutions (j’aime bien ce mot, et puis c’est à ça que ça ressemble) : donc je me bénis en m’envoyant de l’eau dans le dos, en frottant le savon sous mes aisselles, et en espérant que personne ne sortira sur les balcons alentours qui ont une vueCuisine et soeur de mon acudiente plongeante sur mes fesses blanches. Je finis finalement par me laver accroupie. Je rentre dire bonjour dans la cuisine, je bois une tasse de chocolat assise sur un micro banc en bois, et je m’en vais à l’atelier. Voilà mon rituel du matin.

Deuxième soir : la cérémonie du soir vient de se terminer à la maison du Congrès, les sahilas ont chanté et leur chant ont été interprêtés. Je m’en vais d’un pas léger mais fatigué me reposer dans mon hamac qui sent la vieille grange. Mon acudiente m’attend à l’extérieur de ma chambre. Avec son mari. AH ? Bon c’est normal, ils ont encore des choses à se dire à cette heure avancée de la nuit (21h30). Je me prépare, m’installe dans mon hamac, place mon drap. Rentre mon acudiente. Avec son mari. Aaaa ? euuuh ? Buenas noches qu’elle me dit sans noter mon sourcil gauche qui reste relevé en signe d’incompréhension. Ils se glissent sous la moustiquaire opaque (fiouf!), les mains se glissent sur des tissus derrière la moustiquaire. Hmhm. je sens que je vais bien dormir. et ronfl ronfl ronfl….mais pour de vrai. Ça ronfle vraiment. Gasp ! j’ai tout à coup l’idée géniale de me rappeler que j’ai une paire de boule quiès d’air france dans ma trousse à pharmacie (TOUJOURS garder des boules quies d’air france près de soi quand il est probable de dormir dans un endroit public). Bref, re 5h00 du mat, re 6h30…..et là il faut que vous vous imaginiez que alors qu’ils se lèvent à 5h00, moi je dors, ou je fais semblant en tout cas. Donc ils doivent contourner le hamac dans lequel je pionce pour prendre leurs vêtements et sortir de la pièce.

Troisième soir : re-congrès, re-heure avancée de la nuit. Sauf que je commence à être moins guillerette. Elvira compatit avec moi, mais Sonia ne veut pas aller parler à mon acudiente. Soit. Je rentre dans la chambre. Gasp…p’us de moustiquaires. Mon acudiente me regarde. Elle l’a lavé. et là, j’ai les deux sourcils levés et les yeux grands ouverts en plus. je me couche dans le hamac, les mains crispées sur mon drap. Mon acudiente rentre dans la chambre avec son mari, éteind la lumière : « Buenas Noches »…..sûre qu’elle va être bonne. RONFL RONFL RONFL….plus eux que moi. Il faut dire aussi que le mari de mon acudiente parle fort, sourit très peu, pose des questions de manière autoritaire et a souvent les yeux rouges l’après-midi (vous ai-je dit que la côte de Kuna Yala hébergeait souvent des paquets de cocaïne et de marijuana, jetés par des trafficants colombiens poursuivis par les garde-côtes ?)

Quatrième soir. Le congrès s’est prolongé. Les femmes avaient beaucoup de choses à dire. Je rentre donc très très tard (22h00). Mon acudiente est en tenue du soir ( un pagne autour de la poitrine), assise à l’extérieure de « ma chambre » avec son mari. Je rentre la tête baissée. Je crains de les avoir fait attendre trop tard. Je me prépare et me couche rapidement. La moustiquaire n’est toujours pas revenue. J’éteinds la lampe et j’attends. Ils parlent à l’extérieur. Je suis super fatiguée et je commence à m’endormir. Je me réveille plus tard dans la nuit, mon hamac bouge (bon vous me direz que c’est normal pour un hamac, mais il bouge à l’insu de mon plein gré). En fait quelque chose le cogne. De plus je sens du vent sur mon visage. J’allume ma lampe torche et fait le tour de la petite chambre. Il n’y a que moi. Ils ne sont pas venus dormir dans ma chambre. Mais qu’est-ce qui touche mon hamac alors ? qu’est-ce qui fait ce vent contre ma joue ?

Je me dis que ça doit être les deux énormes coucarachas/cockerelles/blattes géantes que j’ai vu rentrer dans la chambre au début de la nuit. Je ferme les yeux, me glisse de tout mon long sous mon drap et éteind ma lampe. Elle avait raison ! j’avais peur toute seule dans le noir profond de la nuit de Kuna Yala qui fait monter en nous toutes sortes de rêves et d’imagination.

Maisons de Mulatupu Ma chambre à MulatupuToilettes en bout d’îleLevé de soleil à 6h10

Mulatupu, atelier

Le deuxième jour de l’atelier, une femme se lève à la fin de la journée pour commenter la journée. Elle veut dénoncer le fait que celles qui donnaient l’atelier (Lois, Naras et Elvira) ne portaient pas la Mola. Comment pouvait-on parler au nom des femmes Kuna et de leur force et ne pas porter fièrement la mola ? Le lendemain, tout le monde en Mola. Naras s’est fait prêter une tenue, comme moi. Mon acudiente, la femme qui me reçoit chez elle pendant ces quatre jours, m’a prêté une mola et un pagne à partir du troisième jour. J’ai même eu droit à la démarcation du nez, avec une teinture naturelle ayant des propriétés curatives apparemment (je ne sais pas ce que mon nez avait besoin de curer ….mauvais jeu de mot)

Blague mise à part, de changer de tenue a changé les regards. Tout à coup, les yeux se sont ouverts sur ma présence. cuisinière m’a prêté son foulard, bernaida, une femme de Mulatupu est allée me chercher son trésor de bijoux en orUne : boucles d’oreilles, colliers, bagues….J’étais parmi les plus parées de l’atelier. On a alors commencé à me faire participer : une femme qui parlait espagnol est venue me chercher pour que l’on s’échange nos informations et les présenter ensuite devant toutes les participantes. Cette femme est alors devenue mon « amie ». Dans la tradition Kuna, l’amitié se scelle en se partageant un oeuf dur et une banane. Cette fois-ci nous nousBernaida sommes seulement échangées un berlingot à la menthe, pour les besoins de la facilité (50 participantes à l’atelier, ça fait 25 oeufs et bananes à cuire). Mon « amie » s’appelait Horacia, avait 39 ans, venait de Mulatupu, avait 6 enfants et déjà 4 petits enfants, dont deux de sa fille aînée de 24 ans (faites le compte!)

 

Le don est important dans la culture autochtone, et dans la culture Kuna. L’accueil deCuisinière préparant un Tulemasi l’étranger chez soi. Mais tout change. Le premier jour, les cuisinières nous ont préparé un Tulemasi. Chacune avait apporté une noix de coco de chez elle pour péparer le lait de coco. Elvira, croyant bien faire, a proposé de payer les femmes pour leur noix de coco. C’est rien, 25 centavos chacune, même pas. Mais Sonia n’était pas d’accord, avec raison. Ces femmes s’étaient offerts d’offrir à l’atelier une noix de coco, un geste gratuit, une participation à l’effort général, à l’organisation d’un atelier qui souhaitait renforcer l’auto-estime des femmes. Mais la simple marchandisation de ce geste a eu des implications importantes : les cuisinières se sont dit que l’organisation avait de l’argent pour tout acheter, leurs maris leur ont dit que les femmes de l’organisation étaient pleines d’Argent et qu’elles n’arrêtaient pas de voyager. Ont commencé les « abus » de faire nourrir tous les enfants du village à la cantine de l’atelier. Ce n’est rien, ce sont des enfants, vous allez me dire avec votre bonne âme chrétienne.

Cependant, ce dont les femmes se sont plaintes pendant ces quatre jours, c’est que les hommes n’allaient plus aux champs ramasser les noix de coco et les bananes comme avant. En pêchant une langouste, ils peuvent avoir de l’argent pour quelques jours et cessent alors de prévoir, de pêcher pour les autres jours. Tout peut s’acheter. Enfin, pas tout. La force symbolique de l’offre de cette noix de coco était importante : les femmes devenaient partenaires de l’activité, elles étaient dignes. Alors ? payer ou pas….

Pendant ces quatre jours, je n’ai cessé de me répéter que Sonia avait grandi ici, dans ces maisons. Qu’elle avait couru entre les maisons, elle avait été pêché, elle connaissait tous les recoins de l’île qu’elle avait exploré avec ses yeux d’enfants. De penser à cela m’a permis de voir la communauté sous un autre jour. Ces quatre jours ont été l’occasion de mieux connaître aussi les femmes avec qui je travaille, de les voir dans leur environnement, dans leur enfance. Je les ai entendu parler et rire en Kuna, m’expliquer leur vie, leurs désespoirs, leurs luttes. et j’ai compris. C’est fou comme vivre ensemble des expériences à l’extérieur du milieu de travail tisse tout à coup des liens plus puissants et plus sincères.

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